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instruit. Un de mes amis qui a la confiance du duc d’Uzède m’a conté toutes les circonstances de votre emprisonnement. Calderone, m’a-t-il dit, ayant découvert par le ministère d’un valet, que la señora Sirena recevait sous un autre nom le prince d’Espagne pendant la nuit, et que c’était le comte de Lemos qui conduisait cette intrigue par l’entremise du seigneur de Santillane, résolut de se venger d’eux et de sa maîtresse. Pour y réussir, il va trouver secrètement le duc d’Uzède, et lui découvre tout. Ce duc, ravi d’avoir en main une si belle occasion de perdre son ennemi, ne manque pas d’en profiter. Il informe le roi de ce qu’on vient de lui apprendre, et lui représente vivement les périls auxquels le prince a été exposé. Cette nouvelle excite la colère de Sa Majesté, qui fait enfermer sur le champ Sirena dans la maison des Repenties, exile le comte de Lemos, et condamne Gil Blas à une prison perpétuelle.

Voilà, poursuivit Scipion, ce que m’a dit mon ami. Vous voyez par là que votre malheur est l’ouvrage du duc d’Uzède, ou pour mieux dire de Calderone.

Je jugeai par ce discours que mes affaires pourraient se rétablir avec le temps ; que le duc de Lerme, piqué de l’exil de son neveu, mettrait tout en œuvre pour faire revenir ce seigneur à la cour ; et je me flattai que Son Excellence ne m’oublierait point. La belle chose que l’espérance ! Elle me consola tout à coup de la perte de mes effets volés, et me rendit aussi gai que si j’eusse eu sujet de l’être. Loin de regarder ma prison comme une demeure malheureuse où je finirais peut-être mes jours, elle me parut plutôt un moyen dont la fortune voulait se servir pour m’élever à quelque grand poste ; car voici de quelle manière je raisonnais en moi-même. Le premier ministre a pour partisans don Fernand de Borgia, le père Jérôme de Florence, et surtout le frère Louis d’Alliaga, qui lui est redevable de la place qu’il occupe auprès du roi. Avec le secours de ces amis puissants,