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ainsi la vie, vous allez me déshonorer et faire passer mon mari pour un assassin.

Dans le désespoir qui me possédait, bien loin de donner à ces mots l’attention qu’ils méritaient, je ne songeais qu’à tromper les efforts que faisaient la maîtresse et la suivante pour me sauver de ma funeste main ; et je n’y aurais sans doute réussi que trop tôt, si don Blas, qui avait été averti de notre entrevue, et qui, au lieu d’aller à la campagne, s’était caché derrière une tapisserie pour entendre notre entretien, ne fût vite venu se joindre à elles. Don Gaston, s’écria-t-il en me retenant le bras, rappelez votre raison égarée, et ne cédez point lâchement au transport furieux qui vous agite !

J’interrompis Combados. Est-ce à vous, lui dis-je, à me détourner de ma résolution ? Vous devriez plutôt me plonger vous-même un poignard dans le sein. Mon amour, tout malheureux qu’il est, vous offense. N’est-ce pas assez que vous me surpreniez la nuit dans l’appartement de votre femme ? En faut-il davantage pour vous exciter à la vengeance ? Percez-moi pour vous défaire d’un homme qui ne peut cesser d’adorer dona Helena qu’en cessant de vivre. C’est en vain, me répondit don Blas, que vous tâchez d’intéresser mon honneur à vous donner la mort. Vous êtes assez puni de votre témérité, et je sais si bon gré à mon épouse de ses sentiments vertueux, que je lui pardonne l’occasion où elle les a fait éclater. Croyez-moi, Cogollos, ajouta-t-il, ne vous désespérez pas comme un faible amant ; soumettez-vous avec courage à la nécessité.

Le prudent Galicien, par de semblables discours, calma peu à peu ma fureur, et réveilla ma vertu. Je me retirai dans le dessein de m’éloigner d’Hélène et des lieux qu’elle habitait. Deux jours après je retournai à Madrid ; là, ne voulant plus m’occuper que du soin de ma fortune, je commençai à paraître à la cour et à m’y faire des amis. Mais j’ai eu le malheur de m’attacher particulièrement au marquis de Villaréal, grand sei-