Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/203

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tement à cette secrète entrevue, je n’ai cédé aux instances qu’on m’en a faites, que pour vous dire de vive voix que vous ne devez songer désormais qu’à m’oublier. Peut-être serais-je plus satisfaite de mon sort, s’il était lié au vôtre ; mais, puisque le ciel en a ordonné autrement, je veux obéir à ses arrêts.

Eh quoi, madame, lui répondis-je, ce n’est pas assez de vous avoir perdue, ce n’est pas assez de voir l’heureux don Blas posséder tranquillement la seule personne que je puisse aimer, il faut encore que je vous bannisse de ma pensée ! Vous voulez m’arracher mon amour, m’enlever l’unique bien qui me reste ! Ah ! cruelle, pensez-vous qu’il soit possible à un homme que vous avez une fois charmé, de reprendre son cœur ? Connaissez-vous mieux que vous ne faites, et cessez de m’exhorter vainement à vous ôter de mon souvenir. Eh bien ! répliqua-t-elle avec précipitation, cessez donc aussi d’espérer que je paye votre passion de quelque reconnaissance. Je n’ai qu’un mot à vous dire : l’épouse de don Blas ne sera point l’amante de don Gaston ; prenez sur cela votre parti. Fuyez, ajouta-t-elle. Finissons promptement un entretien que je me reproche malgré la pureté de mes intentions, et que je me ferais un crime de prolonger.

À ces paroles, qui m’ôtaient toute espérance, je tombai aux genoux de la dame. Je lui tins des discours touchants. J’employai jusqu’aux larmes pour l’attendrir. Mais tout cela ne servit qu’à exciter peut-être quelques sentiments de pitié qu’on se garda bien de laisser paraître, et qui furent sacrifiés au devoir. Après avoir infructueusement épuisé les expressions tendres, les prières et les pleurs, ma tendresse se changea tout à coup en fureur. Je tirai mon épée pour m’en percer aux yeux de l’inexorable Hélène, qui ne s’aperçut pas plutôt de mon action, qu’elle se jeta sur moi pour en prévenir les suites. Arrêtez, Cogollos, me dit-elle. Est-ce ainsi que vous ménagez ma réputation ? En vous ôtant