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tant, peu de jours après son mariage, quelques remords de l’avoir précipité ; il lui vint dans l’esprit que la lettre du marchand pouvait avoir été supposée, et ce soupçon lui donna de l’inquiétude. Mais l’amoureux don Blas ne laissait point à sa femme le temps de nourrir des pensées contraires à son repos ; il ne songeait qu’à l’amuser, et il y réussissait par une succession continuelle de plaisirs différents qu’il avait l’art d’inventer.

Elle paraissait très contente d’un époux si galant et ils vivaient tous deux dans une parfaite union, lorsque ma tante accommoda mon affaire avec les parents de don Augustin. Elle m’écrivit aussitôt en Italie pour m’en donner avis. J’étais alors à Reggio, dans la Calabre ultérieure. Je passai en Sicile, sur les ailes de l’amour. Dona Eleonor, qui ne m’avait pas mandé le mariage de la fille de don George, me l’apprit à mon arrivée ; et remarquant qu’il m’affligeait : Vous avez tort, me dit-elle, mon neveu, de vous montrer sensible à la perte d’une dame qui n’a pu vous demeurer fidèle. Croyez-moi, bannissez de votre cœur et de votre mémoire une personne qui n’est plus digne de vous occuper.

Comme ma tante ignorait qu’on eût trompé dona Helena, elle avait raison de me parler ainsi, et elle ne pouvait me donner un conseil plus sage. Aussi je me promis bien de le suivre, ou du moins d’affecter un air d’indifférence, si je n’étais pas capable de vaincre ma passion. Je ne pus toutefois résister à la curiosité de savoir de quelle manière ce mariage avait été fait. Pour en être instruit, je résolus de m’adresser à l’amie de Felicia, c’est-à-dire à la dame Theodora, dont je vous ai déjà parlé. J’allai chez elle ; j’y trouvai par hasard Felicia, qui ne s’attendant à rien moins qu’à ma vue, en fut troublée, et voulut sortir pour éviter l’éclaircissement qu’elle jugea bien que je lui demanderais. Je l’arrêtai. Pourquoi me fuyez-vous ? lui dis-je. La par-