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le Pâris de mon Hélène, je bénissais ma blessure, puisqu’elle avait de si heureuses suites pour mon amour. J’obtins du seigneur don George la permission de parler à sa fille en présence de la suivante. Que cet entretien fut doux pour moi ! Je priai, je pressai tellement la dame de me dire si son père, en la livrant à ma tendresse, ne faisait aucune violence à ses sentiments, qu’elle m’avoua que je ne la devais point à sa seule obéissance. Depuis cet aveu plein de charmes, je ne m’occupai que du soin de plaire, et d’imaginer des fêtes galantes en attendant le jour de nos noces, qui devait être célébré par une magnifique cavalcade où toute la noblesse de Coria et des environs se préparait à briller.

Je donnai un grand repas à une superbe maison de plaisance que ma tante avait aux portes de la ville du côté de Manroi. Don George et sa fille, avec tous leurs parents et leurs amis en étaient. On y avait préparé par mon ordre un concert de voix et d’instruments, et fait venir une troupe de comédiens de campagne, pour y représenter une comédie. Au milieu du festin, on me vint dire qu’il y avait dans une salle un homme qui demandait à me parler d’une affaire très importante pour moi. Je me levai de table pour aller voir qui c’était. Je trouvai un inconnu qui avait l’air d’un valet de chambre. Il me présenta un billet que j’ouvris, et qui contenait ces paroles : « Si l’honneur vous est cher, comme il le doit être à tout chevalier de votre ordre, vous ne manquerez pas demain matin de vous rendre dans la plaine de Manroi. Vous y trouverez un cavalier qui veut vous faire raison de l’offense que vous avez reçue de lui, et vous mettre, s’il le peut, hors d’état d’épouser dona Helena.

« Don Augustin de Olighera. »

Si l’amour a beaucoup d’empire sur les Espagnols, la vengeance en a encore bien davantage. Je ne lus pas