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mées pendant quelques jours, elle retourna chez don George.

Madame, dit-elle en arrivant à dona Helena, j’ai rencontré don Gaston. Il n’a pas manqué de venir à moi, et de vouloir me tenir des discours flatteurs. Il m’a demandé d’une voix tremblante, et comme un coupable qui attend son arrêt, si je vous avais parlé de sa part. Alors, prompte à exécuter vos ordres, je lui ai coupé brusquement la parole. Je me suis déchaînée contre lui. Je l’ai chargé d’injures, et laissé dans la rue étourdi de ma pétulance. Je suis ravie, répondit dona Helena, que vous m’ayez débarrassée de cet importun ; mais il n’était pas nécessaire de lui parler brutalement. Il faut toujours qu’une fille ait de la douceur. Madame, répliqua la suivante, on ne se défait pas d’un amant passionné par des paroles prononcées d’un air doux. On n’en vient pas même toujours à bout par des fureurs et des emportements. Don Gaston, par exemple, ne s’est pas rebuté. Après l’avoir accablé d’injures, comme je vous l’ai dit, j’ai été chez votre parente où vous m’avez envoyée. Cette dame, par malheur, m’a retenue trop longtemps. Je dis trop longtemps, puisqu’en revenant j’ai retrouvé mon homme. Je ne m’attendais plus à le revoir. Sa vue m’a troublée, mais si troublée, que ma langue, qui ne me manque jamais dans l’occasion, n’a pu me fournir une parole. Pendant ce temps-là, qu’a-t-il fait ? Il a profité de mon silence, ou plutôt de mon désordre ; il m’a glissé dans la main un papier que j’ai gardé sans savoir ce que je faisais, et il a disparu dans le moment.

En parlant ainsi, elle tira de son sein ma lettre qu’elle remit tout en badinant à sa maîtresse, qui l’ayant prise comme pour s’en divertir, la lut à bon compte, et fit ensuite la réservée. En vérité, Felicia, dit-elle d’un air sérieux à sa suivante, vous êtes une étourdie, une folle d’avoir reçu ce billet. Que peut penser de cela don Gaston ? et qu’en dois-je croire moi-même ? Vous me don-