Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/187

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

connaissance, et devint plus forte de jour en jour. La liberté que nous avions de nous parler quand il nous plaisait nous fut très utile, puisque, par nos conversations, nous nous aidâmes réciproquement tous deux à prendre notre mal en patience.

Une après-dînée, j’entrai dans sa chambre, comme il se disposait à jouer de la guitare. Pour l’écouter plus commodément, je m’assis sur une sellette qu’il y avait là pour tout siège ; et lui, s’étant mis sur le pied de son lit, il joua un air fort touchant, et chanta dessus des paroles qui exprimaient le désespoir où la cruauté d’une dame réduisait un amant. Lorsqu’il les eut chantées, je lui dis en souriant : Seigneur chevalier, voilà des vers que vous ne serez jamais obligé d’employer dans vos galanteries. Vous n’êtes pas fait pour trouver les femmes cruelles. Vous avez trop bonne opinion de moi, me répondit-il. J’ai composé pour mon compte les vers que vous venez d’entendre, pour amollir un cœur que je croyais de diamant, pour attendrir une dame qui me traitait avec une extrême rigueur. Il faut que je vous fasse le récit de cette histoire ; vous apprendrez en même temps celle de mes malheurs.


CHAPITRE VI

Histoire de don Gaston de Cogollos et de dona Helene de Galisteo.


Il y aura bientôt quatre ans que je partis de Madrid pour aller à Coria voir dona Éléonor de Laxarilla, ma tante, qui est une des plus riches douairières de la Castille Vieille, et qui n’a point d’autre héritier que moi. Je fus à peine arrivé chez elle que l’amour y vint troubler mon repos. Elle me donna un appartement dont les fenêtres faisaient face aux jalousies d’une dame qui