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LIVRE NEUVIÈME


CHAPITRE PREMIER

Scipion veut marier Gil Blas, et lui propose la fille d’un riche et fameux orfèvre. Des démarches qui se firent en conséquence.


Un soir, après avoir renvoyé la compagnie qui était venue souper chez moi, me voyant seul avec Scipion, je lui demandai ce qu’il avait fait ce jour-là. Un coup de maître, me répondit-il. Je vous ménage un riche établissement. Je veux vous marier à la fille unique d’un orfèvre de ma connaissance.

La fille d’un orfèvre ! m’écriai-je d’un air dédaigneux ; as-tu perdu l’esprit ? Peux-tu me proposer une bourgeoise ? Quand on a un certain mérite, et qu’on est à la cour sur un certain pied, il me semble qu’on doit avoir des vues plus élevées. Eh ! monsieur, me repartit Scipion, ne le prenez point sur ce ton-là. Songez que c’est le mâle qui anoblit, et ne soyez pas plus délicat que mille seigneurs que je pourrais vous citer. Savez-vous bien que l’héritière dont il s’agit est un parti de cent mille ducats pour le moins ? N’est-ce pas là un beau morceau d’orfèvrerie ? Lorsque j’entendis parler d’une grosse somme, je devins plus traitable. Je me rends, dis-je à mon secrétaire ; la dot me détermine. Quand veux-tu me la faire toucher ? Doucement, monsieur, me répondit-il ; un peu de patience. Il faut auparavant que je communique la chose au père, et que je la lui fasse agréer. Bon ! repris-je en éclatant de