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un peu rare. Cependant nous sommes, Dieu merci, dans une ville où il y a de tout ; et j’espère que j’aurai bientôt trouvé votre fait.

Véritablement trois jours après il me dit : J’ai découvert un trésor. Une jeune dame nommée Catalina, de bonne famille et d’une beauté ravissante, demeure, sous la conduite de sa tante, dans une petite maison où elles vivent toutes deux fort honnêtement de leur bien qui n’est pas considérable. Elles sont servies par une soubrette que je connais, et qui vient de m’assurer que leur porte, quoique fermée à tout le monde, pourrait s’ouvrir à un galant riche et libéral, pourvu qu’il voulût bien, de peur de scandale, n’entrer chez elles que la nuit et sans faire aucun éclat. Là-dessus, je vous ai peint comme un cavalier qui méritait de trouver l’huis ouvert, et j’ai prié la soubrette de vous proposer aux deux dames. Elle m’a promis de le faire, et de me rapporter demain matin la réponse dans un endroit dont nous sommes convenus. Cela est bon, lui répondis-je ; mais je crains que la femme de chambre a qui tu viens de parler ne t’en ait fait accroire. Non, non, répliqua-t-il, ce n’est point à moi qu’on en donne à garder : j’ai déjà interrogé les voisins ; et je conclus de tout ce qu’ils m’ont dit, que la señora Catalina est telle que vous la pouvez désirer, c’est-à-dire une Danaé chez laquelle il vous sera permis d’aller faire le Jupiter, à la faveur d’une grêle de pistoles que vous y laisserez tomber.

Tout prévenu que j’étais contre ces sortes de bonnes fortunes, je me prêtai à celle-là ; et comme la femme de chambre vint dire le jour suivant à Scipion qu’il ne tiendrait qu’à moi d’être introduit dès ce soir-là même dans la maison de ses maîtresses, je m’y glissai entre onze heures et minuit. La soubrette me reçut sans lumière, et me prit par la main pour me conduire dans une salle assez propre, où je trouvai les deux dames galamment habillées, et assises sur des carreaux de satin. Aussitôt qu’elles m’aperçurent, elles se levèrent