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venons présentement à ce seigneur. Je le voyais quelquefois. Je lui avais porté mille pistoles, comme je l’ai dit ci-devant, et je lui en portai mille autres encore, par ordre du duc son oncle, de l’argent que j’avais à Son Excellence. Le comte de Lemos ce jour-là voulut avoir un long entretien avec moi. Il m’apprit qu’il était enfin parvenu à son but, et qu’il possédait entièrement les bonnes grâces du prince d’Espagne, dont il était l’unique confident. Ensuite il me chargea d’une commission fort honorable, et à laquelle il m’avait déjà préparé. Ami Santillane, me dit-il, c’est maintenant qu’il faut agir. N’épargnez rien pour découvrir quelque jeune beauté qui soit digne d’amuser ce prince galant. Vous avez de l’esprit, je ne vous en dis pas davantage. Allez, courez, cherchez, et quand vous aurez fait une heureuse découverte, vous viendrez m’en avertir. Je promis au comte de ne rien négliger pour bien m’acquitter de cet emploi, qui ne doit pas être fort difficile à exercer, puisqu’il y a tant de gens qui s’en mêlent.

Je n’avais pas un grand usage de ces sortes de recherches : mais je ne doutais point que Scipion ne fût encore admirable pour cela. En arrivant au logis, je l’appelai et lui dis en particulier : Mon enfant, j’ai une confidence importante à te faire. Sais-tu bien qu’au milieu des faveurs de la fortune je sens qu’il me manque quelque chose ? Je devine aisément ce que c’est, interrompit-il, sans me donner le temps d’achever ce que je voulais lui dire ; vous avez besoin d’une nymphe agréable pour vous dissiper un peu et vous égayer. Et, en effet, il est étonnant que vous n’en ayez pas dans le printemps de vos jours, pendant que de graves barbons ne sauraient s’en passer. J’admire ta pénétration, repris-je en souriant. Oui, mon ami, c’est une maîtresse qu’il me faut, et je veux l’avoir de ta main. Mais je t’avertis que je suis très délicat sur la matière : je te demande une jolie personne qui n’ait pas de mauvaises mœurs. Ce que vous souhaitez, repartit Scipion en souriant, est