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se passe chez vous. Préparez-vous à entendre une nouvelle qui vous causera autant de douleur que de surprise. Je vais vous frapper par l’endroit le plus sensible.

Je vous entends, interrompit don Anastasio déjà tout troublé, votre cousine m’est infidèle. Je ne la reconnais plus pour ma cousine, reprit Hordalès d’un air emporté ; je la désavoue : elle est indigne de vous avoir pour mari. C’est trop me faire languir, s’écria don Anastasio : parlez, qu’a fait Estéphanie ? Elle vous a trahi, repartit don Huberto. Vous avez un rival qu’elle écoute en secret, mais que je ne puis vous nommer : car l’adultère, à la faveur d’une épaisse nuit, s’est dérobé aux yeux qui l’observaient. Tout ce que je sais, c’est qu’on vous trompe : c’est un fait dont je suis certain. L’intérêt que je dois prendre à cette affaire ne vous répond que trop de la vérité de mon rapport. Puisque je me déclare contre Estéphanie, il faut que je sois bien convaincu de son infidélité.

Il est inutile, continua-t-il en remarquant que ses discours faisaient l’effet qu’il en attendait, il est inutile de vous en dire davantage. Je m’aperçois que vous êtes indigné de l’ingratitude dont on ose payer votre amour, et que vous méditez une juste vengeance. Je ne m’y opposerai point. N’examinez pas quelle est la victime que vous allez frapper ; montrez à toute la ville qu’il n’est rien que vous ne puissiez immoler à votre honneur.

Le traître animait ainsi un époux trop crédule contre une femme innocente ; et il lui peignit avec de si vives couleurs l’infamie dont il demeurerait couvert s’il laissait l’affront impuni, qu’il le mit enfin en fureur. Voilà don Anastasio qui perd le jugement ; il semble que les furies l’agitent. Il retourne chez lui dans la résolution de poignarder sa malheureuse épouse. Elle était prête à se mettre au lit quand il arriva. Il se contraignit d’abord, et attendit que les domestiques fussent retirés. Alors, sans être retenu par la crainte de la colère