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naissance ; que vous feriez même les choses pour rien, si vous étiez dans une situation qui vous permît de suivre votre inclination généreuse et désintéressée. Enfin, je lui ai parlé de manière que vous verrez demain matin ce gentilhomme à votre lever. Comment donc, lui dis-je, monsieur Scipion, vous avez déjà fait bien de la besogne ! Je m’aperçois que vous n’êtes pas neuf en matière d’intrigues. Je m’étonne que vous n’en soyez pas plus riche. C’est ce qui ne doit pas vous surprendre, me répondit-il ; j’aime à faire circuler les espèces, je ne thésaurise point.

Don Roger de Rada vint effectivement chez moi. Je le reçus avec une politesse mêlée de fierté. Seigneur cavalier, lui dis-je, avant que je m’engage à vous servir, je veux savoir l’affaire d’honneur qui vous amène à la cour ; car elle pourrait être telle, que je n’oserais parler pour vous au premier ministre. Faites-m’en donc, s’il vous plaît, un rapport fidèle, et soyez persuadé que j’entrerai vivement dans vos intérêts, si un galant homme peut les épouser. Très volontiers, me répondit le jeune Grenadin, je vais vous conter sincèrement mon histoire. En même temps, il m’en fit le récit de cette sorte.


CHAPITRE VIII

Histoire de don Roger de Rada.


Don Anastasio de Rada, gentilhomme grenadin, vivait heureux dans la ville d’Antequerre, avec dona Estephania, son épouse, qui joignait à une vertu solide un esprit doux et une extrême beauté. Si elle aimait tendrement son mari, elle en était aimée éperdument. Il était de son naturel fort porté à la jalousie ; et, quoiqu’il n’eût aucun sujet de douter de la fidélité de sa femme, il ne laissait pas d’avoir de l’inquiétude. Il appréhendait que quelque secret ennemi de son repos