Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 2.djvu/115

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que par conséquent je ne devais pas être si charmé de mon poste ; qu’il était moins solide que je ne l’avais cru, et qu’enfin je ne pouvais assez ménager ma bourse. Ces réflexions me guérirent de la rage de dépenser. Je commençai à me repentir d’avoir amené là ces secrétaires, à souhaiter la fin du repas ; et, lorsqu’il fallut compter, j’eus avec le traiteur une dispute pour l’écot.

Nous nous séparâmes à minuit, mes confrères et moi, parce que je ne les pressai pas de boire davantage. Ils s’en allèrent chez leur veuve, et je me retirai à mon superbe appartement, que j’enrageais pour lors d’avoir loué, et que je me promettais bien de quitter à la fin du mois. J’eus beau me coucher dans un bon lit, mon inquiétude en écarta le sommeil. Je passai le reste de la nuit à rêver aux moyens de ne pas travailler pour le roi généreusement. Je m’en tins là-dessus au conseil de Monteser. Je me levai dans la résolution d’aller faire la révérence à don Rodrigue de Calderone. J’étais dans une disposition très propre à paraître devant un homme si fier : car je sentais que j’avais besoin de lui. Je me rendis donc chez ce secrétaire.

Son logement communiquait à celui du duc de Lerme, et l’égalait en magnificence. On aurait eu de la peine à distinguer par les ameublements le maître du valet. Je me fis annoncer comme successeur de don Valerio, ce qui n’empêcha pas qu’on ne me fît attendre plus d’une heure dans l’antichambre. Monsieur le nouveau secrétaire, me disais-je pendant ce temps-là, prenez, s’il vous plaît, patience. Vous croquerez bien le marmot, avant que vous le fassiez croquer aux autres.

On ouvrit pourtant la porte de la chambre. J’entrai et m’avançai vers don Rodrigue, qui, venant d’écrire un billet doux à sa charmante Sirène, le donnait à Pédrille dans ce moment-là. Je n’avais pas paru devant l’archevêque de Grenade, ni devant le comte Galiano, ni même devant le premier ministre, si respectueusement que je me présentai aux yeux du seigneur Cal-