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étonne, ajouta-t-il en remarquant que je l’écoutais avec surprise ; cependant rien n’est plus Véritable. J’ignore quel sujet vous avez pu donner à la dame Lorença de vous haïr ; mais je puis vous assurer que vous lui êtes devenu odieux à un point que, si vous ne sortez au plus vite du château, sa mort, dit-elle, est certaine. Vous ne devez pas douter que Séraphine, à qui vous êtes cher, ne se soit d’abord révoltée contre une haine qu’elle ne peut servir sans injustice et sans ingratitude, Mais enfin c’est une femme. Elle aime tendrement Séphora qui l’a élevée. C’est pour elle une mère que cette gouvernante dont elle croirait avoir le trépas à se reprocher, si elle n’avait la faiblesse de la satisfaire. Pour moi, quelque amour qui m’attache à Séraphine, je n’aurai jamais la lâche complaisance d’adhérer à ses sentiments là-dessus. Périssent toutes les duègnes d’Espagne, avant que je consente à l’éloignement d’un garçon que je regarde plutôt comme un frère que comme un domestique !

Lorsque don Alphonse eut ainsi parlé, je lui dis : Seigneur, je suis né pour être le jouet de la fortune. J’avais compté qu’elle cesserait de me persécuter chez vous, où tout me promettait des jours heureux et tranquilles. Il faut pourtant me résoudre à m’en bannir, quelque agrément que j’y trouve. Non, non, s’écria le généreux fils de don César ; laissez-moi faire entendre raison à Séraphine. Il ne sera pas dit que vous aurez été sacrifié aux caprices d’une duègne pour qui, d’ailleurs, on n’a que trop de considération. Vous ne ferez, lui répliquai-je, seigneur, qu’aigrir Séraphine en résistant à ses volontés. J’aime mieux me retirer que de m’exposer par un plus long séjour ici à mettre la division entre deux époux si parfaits. Ce serait un malheur dont je ne me consolerais de ma vie.

Don Alphonse me défendit de prendre ce parti ; et je le vis si ferme dans le dessein de me soutenir, qu’indubitablement Lorença en aurait eu le démenti, si j’eusse