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pour y dîner selon ma coutume, vint au-devant de moi, et me dit d’un air gai : Seigneur Gil Blas, j’ai une assez bonne condition à vous proposer. Vous saurez que le duc de Lerme, premier ministre de la couronne d’Espagne, pour se donner entièrement à l’administration des affaires de l’État, se repose sur deux personnes de l’embarras des siennes. Il a chargé du soin de recueillir ses revenus don Diègue de Monteser, et il fait faire la dépense de sa maison par don Rodrigue de Calderone. Ces deux hommes de confiance exercent leur emploi avec une autorité absolue et sans dépendre l’un de l’autre. Don Diègue a d’ordinaire sous lui deux intendants qui font la recette ; et, comme j’ai appris ce matin qu’il en avait chassé un, j’ai été demander sa place pour vous. Le seigneur de Monteser qui me connaît, et dont je puis me vanter d’être aimé, me l’a sans peine accordée, sur les bons témoignages que je lui ai rendus de vos mœurs et de votre capacité. Nous irons chez lui cette après-dînée.

Nous n’y manquâmes pas. Je fus reçu très gracieusement, et installé dans l’emploi de l’intendant qui avait été congédié. Cet emploi consistait à visiter nos fermes, à y faire faire les réparations, à toucher l’argent des fermiers ; en un mot, je me mêlais des biens de la campagne, et tous les mois je rendais mes comptes à don Diègue, qui, malgré tout le bien que mon chef d’office lui avait dit de moi, les épluchait avec beaucoup d’attention. C’était ce que je demandais. Quoique ma droiture eût été si mal payée chez mon dernier maître, j’avais résolu de la conserver toujours.

Un jour nous apprîmes que le feu avait pris au château de Lerme, et que plus de la moitié était réduite en cendres. Je me transportai aussitôt sur les lieux pour examiner le dommage. Là, m’étant informé avec exactitude des circonstances de l’incendie, j’en composai une ample relation que Monteser fit voir au duc de Lerme. Ce ministre, malgré le chagrin qu’il avait d’ap-