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où je suis à votre égard. J’avais oublié votre nom, et je ne pensais plus à ce cavalier dont il est fait mention dans une lettre que j’ai reçue de Grenade il y a plus de quatre mois.

Que je vous embrasse ! ajouta-t-il en se jetant à mon cou avec transport. Mon oncle Melchior, que j’aime et que j’honore comme mon propre père, me mande que, si par hasard j’ai l’honneur de vous voir, il me conjure de vous faire le même traitement que je ferais à son fils, et d’employer, s’il le faut, pour vous, mon crédit et celui de mes amis. Il me fait l’éloge de votre cœur et de votre esprit dans des termes qui m’intéresseraient à vous servir, quand sa recommandation ne m’y engagerait pas. Regardez-moi donc, je vous prie, comme un homme à qui mon oncle a communiqué par sa lettre tous les sentiments qu’il a pour vous. Je vous donne mon amitié ; ne me refusez pas la vôtre.

Je répondis avec la reconnaissance que je devais à la politesse de Joseph ; et tous deux, en gens vifs et sincères, nous formâmes à l’heure même une étroite liaison. Je n’hésitai point à lui découvrir la situation de mes affaires. Ce que je n’eus pas sitôt fait, qu’il me dit : Je me charge du soin de vous placer ; et en attendant, ne manquez pas de venir manger ici tous les jours. Vous y aurez un meilleur ordinaire qu’à votre auberge. L’offre flattait trop un convalescent mal en espèces et accoutumé aux bons morceaux, pour être rejetée. Je l’acceptai, et je me refis si bien dans cette maison, qu’au bout de quinze jours j’avais déjà une face de bernardin. Il me parut que le neveu de Melchior faisait là ses orges à merveille. Mais comment ne les aurait-il pas faites ? il avait trois cordes à son arc ; il était à la fois sommelier, chef d’office et maître d’hôtel. De plus, notre amitié à part, je crois que l’intendant du logis et lui s’accordaient fort bien ensemble.

J’étais parfaitement bien rétabli, lorsque mon ami Joseph, me voyant un jour arriver à l’hôtel de Zuniga