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fort bien être la voleuse. Mes soupçons tombaient tantôt sur l’un et tantôt sur l’autre ; mais c’était toujours la même chose pour moi. Je n’en témoignai rien à la vieille ; je ne la chicanai pas même sur les articles de son beau mémoire. Je n’aurais rien gagné à cela ; il faut bien que chacun fasse son métier. Je bornai mon ressentiment à la payer et à la renvoyer trois jours après.

Je m’imagine qu’en sortant de chez moi elle alla donner avis à l’apothicaire qu’elle venait de me quitter, et que je me portais assez bien pour prendre la clef des champs sans compter avec lui ; car un moment après je le vis arriver tout essoufflé. Il me présenta son mémoire, dans lequel, sous des noms qui m’étaient inconnus, quoique j’eusse été médecin, il avait écrit tous les prétendus remèdes qu’il m’avait fournis dans le temps que j’étais sans sentiment. On pouvait appeler ce mémoire-là de vraies parties d’apothicaire. Aussi nous eûmes une dispute lorsqu’il fut question de payement. Je prétendais qu’il rabattît la moitié de la somme qu’il demandait. Il jura qu’il n’en rabattrait pas même une obole. Considérant toutefois qu’il avait affaire à un jeune homme qui dès ce jour-là pouvait s’éloigner de Madrid, il aima mieux se contenter de ce que je lui offrais, c’est-à-dire de trois fois au delà de ce que valaient ses drogues, que de s’exposer à perdre tout. Je lui lâchai des espèces à mon grand regret, et il se retira bien vengé du petit chagrin que je lui avais causé le jour du lavement.

Le médecin parut presque aussitôt : car ces animaux-là sont presque toujours à la queue l’un de l’autre. J’escomptai ses visites, qui avaient été très fréquentes, et je le renvoyai content. Mais, avant que de me quitter, pour me prouver qu’il avait bien gagné son argent, il me détailla les inconvénients mortels qu’il avait prévenus dans ma maladie. Ce qu’il fit en fort beaux termes et d’un air agréable ; mais je n’y compris rien du tout. Lorsque je me fus défait de lui, je me crus