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CHAPITRE XVII

Quel parti prit Gil Blas après l’aventure de l’hôtel garni.


Lorsque j’eus, fort inutilement, bien déploré mon malheur, je fis réflexion qu’au lieu de céder à mon chagrin, je devais plutôt me raidir contre mon mauvais sort. Je rappelai mon courage et, pour me consoler, je disais en m’habillant : Je suis encore trop heureux que les fripons n’aient pas emporté mes habits et quelques ducats que j’ai dans mes poches. Je leur tenais compte de cette discrétion. Ils avaient même été assez généreux pour me laisser mes bottines, que je donnai à l’hôte pour un tiers de ce qu’elles m’avaient coûté. Enfin je sortis de l’hôtel garni sans avoir, Dieu merci, besoin de personne pour porter mes hardes. La première chose que je fis fut d’aller voir si mes mules ne seraient pas dans l’hôtellerie où j’étais descendu le jour précédent. Je jugeais bien qu’Ambroise ne les y avait pas laissées ; et plût au ciel que j’eusse toujours jugé aussi sainement de lui ! J’appris que, dès le soir même, il avait eu le soin de les en retirer. Ainsi, comptant de ne les plus revoir, non plus que ma chère valise, je marchais tristement dans les rues, en rêvant à ce que je devais faire. Je fus tenté de retourner à Burgos pour avoir encore une fois recours à dona Mencia ; mais, considérant que ce serait abuser des bontés de cette dame, et que d’ailleurs je passerais pour une bête, j’abandonnai cette pensée. Je jurai bien aussi que dans la suite je serais en garde contre les femmes : je me serais alors défié de la chaste Suzanne. Je jetais de temps en temps les yeux sur ma bague ; et quand je venais à songer que c’était un présent de Camille, j’en soupirais de douleur. Hélas ! me disais-je en moi-même, je ne me connais point en rubis ; mais je connais les gens qui les troquent. Je ne crois pas