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n’en ont pas. Je suis donc d’avis que vous alliez à Madrid ; mais il ne faut pas que vous y paraissiez sans suite. On juge là, comme ailleurs, sur les apparences, et vous n’y serez considéré qu’à proportion de la figure qu’on vous verra faire. Je veux vous donner un valet, un domestique fidèle, un garçon sage, en un mot, un homme de ma main. Achetez deux mules, l’une pour vous, l’autre pour lui ; et partez le plus tôt qu’il vous sera possible.

Ce conseil était trop de mon goût pour ne le pas suivre. Dès le lendemain j’achetai deux belles mules, et j’arrêtai le valet dont on m’avait parlé. C’était un garçon de trente ans, qui avait l’air simple et dévot. Il me dit qu’il était du royaume de Galice, et qu’il se nommait Ambroise de Lamela. Ce qui me parut singulier, c’est qu’au lieu de ressembler aux autres domestiques, qui sont ordinairement fort intéressés, celui-ci ne se souciait point de gagner de bons gages ; il me témoigna même qu’il était homme à se contenter de ce que je voudrais bien avoir la bonté de lui donner. J’achetai aussi des bottines, avec une valise pour serrer mon linge et mes ducats. Ensuite, je satisfis mon hôte : et, le jour suivant, je partis de Burgos avant l’aurore pour aller à Madrid.


CHAPITRE XVI

Qui fait voir qu’on ne doit pas trop compter sur la prospérité.


Nous couchâmes à Duegnas la première journée, et nous arrivâmes la seconde à Valladolid, sur les quatre heures après midi. Nous descendîmes à une hôtellerie qui me semblait devoir être une des meilleures de la ville. Je laissai le soin des mules à mon valet, et montai