Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/81

Cette page a été validée par deux contributeurs.

cieux. Il y a quatre jours que j’ai écrit à une personne d’Astorga. Je lui mandais de vous aller trouver de ma part, et de vous dire que je vous priais instamment de me venir chercher au sortir de votre prison. Je ne doutais pas qu’on ne vous élargît bientôt : les choses que j’avais dites au corrégidor à votre décharge suffisaient pour cela. Aussi m’a-t-on fait réponse que vous aviez recouvré la liberté, mais qu’on ne savait ce que vous étiez devenu. Je craignais de ne plus vous revoir, et d’être privée du plaisir de vous témoigner ma reconnaissance, ce qui m’aurait bien mortifiée. Consolez-vous ajouta-t-elle en remarquant la honte que j’avais de me présenter à ses yeux sous un misérable habillement ; que l’état où je vous vois ne vous fasse point de peine. Après le service important que vous m’avez rendu, je serais la plus ingrate de toutes les femmes, si je ne faisais rien pour vous. Je prétends vous tirer de la mauvaise situation où vous êtes ; je le dois, et je le puis. J’ai des biens assez considérables pour pouvoir m’acquitter envers vous sans m’incommoder.

Vous savez, continua-t-elle, mes aventures, jusqu’au jour où nous fûmes emprisonnés tous deux ; je vais vous conter ce qui m’est arrivé depuis ce temps-là. Lorsque le corrégidor d’Astorga m’eut fait conduire à Burgos, après avoir entendu de ma bouche un fidèle récit de mon histoire, je me rendis au château d’Ambrosio. Mon retour y causa une extrême surprise ; mais on me dit que je revenais trop tard ; que le marquis, frappé de ma fuite comme d’un coup de foudre, était tombé malade, et que les médecins désespéraient de sa vie. Ce fut pour moi un nouveau sujet de me plaindre de la rigueur de ma destinée. Cependant je le fis avertir que je venais d’arriver. Puis j’entrai dans sa chambre, et courus me jeter à genoux au chevet de son lit, le visage couvert de larmes, et le cœur pressé de la plus vive douleur. Qui vous ramène ici ? me dit-il dès qu’il m’aperçut : venez-vous contempler votre ouvrage ? Ne vous suffit-il pas