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Le petit chantre avait eu raison de ne pas vanter sa bourse ; j’y trouvai très peu d’espèces, et quelles espèces encore ! de la menue monnaie : par bonheur, j’étais accoutumé depuis deux mois à une vie très frugale, et il me restait encore quelques réaux lorsque j’arrivai au bourg de Ponte de Mula, qui n’est pas éloigné de Burgos. Je m’y arrêtai pour demander des nouvelles de dona Mencia. J’entrai dans une hôtellerie dont l’hôtesse était une petite femme sèche, vive et hagarde. Je m’aperçus d’abord, à la mauvaise mine qu’elle me fit que ma souquenille n’était guère de son goût ; ce que je lui pardonnai volontiers. Je m’assis à une table. Je mangeai du pain et du fromage, et bus quelques coups d’un vin détestable qu’on m’apporta. Pendant ce repas, qui s’accordait assez avec mon habillement, je voulus entrer en conversation avec l’hôtesse, qui me fit assez connaître, par une grimace dédaigneuse, qu’elle méprisait mon entretien. Je la priai de me dire si elle connaissait le marquis de la Guardia, si son château était éloigné du bourg, et surtout si elle savait ce que la marquise sa femme pouvait être devenue. Vous demandez bien des choses, me répondit-elle d’un air plein de fierté. Elle m’apprit pourtant, quoique de fort mauvaise grâce, que le château de don Ambrosio n’était qu’à une petite lieue de Ponte de Mula.

Après que j’eus achevé de boire et de manger, comme il était nuit, je témoignai que je souhaitais de me reposer, et je demandai une chambre. À vous une chambre ! me dit l’hôtesse en me lançant un regard où le mépris était peint ; je n’ai point de chambre pour les gens qui font leur souper d’un morceau de fromage. Tous mes lits sont retenus. J’attends des cavaliers d’importance qui doivent venir loger ici ce soir. Tout ce que je puis faire pour votre service, c’est de vous mettre dans ma grange : ce ne sera pas, je pense, la première fois que vous aurez couché sur la paille. Elle ne croyait pas si bien dire qu’elle disait. Je ne répliquai point à son dis-