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d’obligation. Il ne put s’empêcher de rire lorsqu’il m’aperçut. Comme vous voilà ! me dit-il : je ne vous ai pas reconnu d’abord sous cet habillement ; la justice, à ce que je vois, vous en a donné de toutes les façons. Je ne me plains pas de la justice, lui répondis-je ; elle est très équitable ; je voudrais seulement que tous ses officiers fussent d’honnêtes gens : ils devaient du moins me laisser mon habit ; il me semble que je ne l’avais pas mal payé. J’en conviens, reprit-il, mais on vous observera que ce sont des formalités qui s’observent. Eh ! vous imaginez-vous, par exemple, que votre cheval ait été rendu à son premier maître ? Non pas, s’il vous plaît ; il est actuellement dans les écuries du greffier, où il a été déposé comme une preuve du vol : je ne crois pas que le pauvre gentilhomme en retire seulement la croupière. Mais changeons de discours, continua-t-il. Quel est votre dessein ? Que prétendez-vous faire présentement ? J’ai envie, lui dis-je, de prendre le chemin de Burgos : j’irai trouver la dame dont je suis le libérateur ; elle me donnera quelques pistoles ; j’achèterai une soutanelle neuve, et me rendrai à Salamanque, où je tâcherai de mettre mon latin à profit. Tout ce qui m’embarrasse, c’est que je ne suis point encore à Burgos : il faut vivre sur la route ; vous n’ignorez pas qu’on fait fort mauvaise chère quand on voyage sans argent. Je vous entends, répliqua-t-il, et je vous offre ma bourse : elle est un peu plate, à la vérité, mais vous savez qu’un chantre n’est pas un évêque. En même temps il la tira, et me la mit entre les mains de si bonne grâce, que je ne pus me défendre de la retenir telle qu’elle était. Je le remerciai comme s’il m’eût donné tout l’or du monde, et je lui fis mille protestations de service qui n’ont jamais eu d’effet. Après cela, je le quittai et sortis de la ville sans aller voir les autres personnes qui avaient contribué à mon élargissement, je me contentai de leur donner en moi-même mille bénédictions.