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regardaient avec une extrême attention, comme si c’eût été pour eux un spectacle nouveau de voir une femme à cheval derrière un homme. Nous descendîmes à la première hôtellerie, où j’ordonnai d’abord qu’on mît à la broche une perdrix et un lapereau. Pendant qu’on exécutait mon ordre, je conduisis la dame à une chambre, où nous commençâmes à nous entretenir ; ce que nous n’avions pu faire en chemin, parce que nous étions venus trop vite. Elle me témoigna combien elle était sensible au service que je venais de lui rendre, et me dit qu’après une action si généreuse elle ne pouvait se persuader que je fusse un compagnon des brigands à qui je l’avais arrachée. Je lui contai mon histoire pour la confirmer dans la bonne opinion qu’elle avait conçue de moi. Par là je l’engageai à me donner sa confiance et à m’apprendre ses malheurs, qu’elle me raconta comme je vais le dire dans le chapitre suivant.


CHAPITRE XI

Histoire de dona Mencia de Mosquera.


Je suis née à Valladolid, et je m’appelle dona Mencia de Mosquera. Don Martin, mon père, après avoir consommé presque tout son patrimoine dans le service, fut tué en Portugal, à la tête d’un régiment qu’il commandait. Il me laissa si peu de bien, que j’étais un assez mauvais parti, quoique je fusse fille unique. Je ne manquai pas toutefois d’amants, malgré la médiocrité de ma fortune. Plusieurs cavaliers des plus considérables d’Espagne me recherchèrent en mariage. Celui qui s’attira mon attention fut don Alvar de Mello. Véritablement il était mieux fait que ses rivaux ; mais des qualités plus solides me déterminèrent en sa faveur. Il avait de l’esprit, de la discrétion, de la valeur et de la probité. D’ailleurs, il pouvait passer pour l’homme du