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dre cri. La bonne Léonarde, persuadée que je n’y manquerais pas si elle osait me contredire, prit le parti de me laisser faire tout ce que je voulus. J’allumai de la bougie, et j’allai avec l’inconnue à la chambre où étaient les espèces d’or et d’argent. Je mis dans mes poches autant de pistoles et de doubles pistoles qu’il y en put tenir ; et, pour obliger la dame à s’en charger aussi, je lui représentai qu’elle ne faisait que reprendre son bien, ce qu’elle fit sans scrupule. Quand nous en eûmes une bonne provision, nous marchâmes vers l’écurie, où j’entrai seul avec mes pistolets en état. Je comptais bien que le vieux nègre, malgré sa goutte et son rhumatisme, ne me laisserait pas tranquillement seller et brider mon cheval, et j’étais dans la résolution de le guérir radicalement de tous ses maux, s’il s’avisait de vouloir faire le méchant ; mais, par bonheur, il était alors si accablé des douleurs qu’il avait souffertes et de celles qu’il souffrait encore, que je tirai mon cheval de l’écurie sans même qu’il parût s’en apercevoir. La dame m’attendait à la porte. Nous enfilâmes promptement l’allée par où l’on sortait du souterrain, nous arrivons à la grille, nous l’ouvrons, et nous parvenons enfin à la trappe. Nous eûmes beaucoup de peine à la lever, ou plutôt, pour en venir à bout, nous eûmes besoin de la force nouvelle que nous prêta l’envie de nous sauver.

Le jour commençait à paraître lorsque nous nous vîmes hors de cet abîme. Nous songeâmes aussitôt à nous en éloigner. Je me jetai en selle ; la dame monta derrière moi, et, suivant au galop le premier sentier qui se présenta, nous sortîmes bientôt de la forêt. Nous entrâmes dans une plaine coupée de plusieurs routes ; nous en prîmes une au hasard. Je mourais de peur qu’elle ne nous conduisît à Mansilla et que nous ne rencontrassions Rolando et ses camarades, ce qui pouvait fort bien nous arriver. Heureusement ma crainte fut vaine. Nous arrivâmes à la ville d’Astorga sur les deux heures après midi. J’aperçus des gens qui nous