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dès que mes charitables confrères s’imaginèrent que je souffrais, les voilà tous qui s’empressent à me soulager : l’un m’apporte une bouteille d’eau-de-vie et m’en fait avaler la moitié ; l’autre me donne, malgré moi, un lavement d’huile d’amandes douces ; un autre va chauffer une serviette et vient me l’appliquer toute brûlante sur le ventre. J’avais beau crier miséricorde ; ils imputaient mes cris à ma colique, et continuaient à me faire souffrir des maux véritables, en voulant m’en ôter un que je n’avais point. Enfin, ne pouvant plus y résister, je fus obligé de leur dire que je ne sentais plus de tranchées, et que je les conjurais de me donner quartier. Ils cessèrent de me fatiguer de leurs remèdes, et je me gardai bien de me plaindre davantage, de peur d’éprouver encore leurs secours.

Cette scène dura près de trois heures. Après quoi les voleurs, jugeant que le jour ne devait pas être fort éloigné, se préparèrent à partir pour Mansilla. Je fis alors un nouveau lazzi ; je voulus me lever pour leur faire croire que j’avais grande envie de les accompagner ; mais ils m’en empêchèrent. Non, non, Gil Blas, me dit le seigneur Rolando, demeure ici, mon fils : ta colique pourrait te reprendre. Tu viendras une autre fois avec nous ; pour aujourd’hui, tu n’es pas en état de nous suivre ; repose-toi toute la journée ; tu as besoin de repos. Je ne crus pas devoir insister fort sur cela, de crainte qu’on ne se rendît à mes instances ; je parus seulement très mortifié de ne pouvoir être de la partie : ce que je fis d’un air si naturel, qu’ils sortirent tous du souterrain sans avoir le moindre soupçon de mon projet. Après leur départ, que j’avais tâché de hâter par mes vœux, je m’adressai ce discours : Oh çà ! Gil Blas, c’est à présent qu’il faut avoir de la résolution. Arme-toi de courage pour achever ce que tu as si heureusement commencé. La chose me paraît aisée : Domingo n’est point en état de s’opposer à ton entreprise, et Léonarde ne peut t’empêcher de l’exécuter. Saisis cette