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Marmontel, dans son Essai sur les Romans, ne parle de lui qu’avec une sorte de regret et comme incidemment ; le passage est remarquable par son insuffisance :


« Le roman satirique, tel que je le conçois, dit Marmontel, demanderait tantôt la plume de Lucien, de La Bruyère ou d’Hamilton, tantôt celle de Juvénal, je n’ose dire le pinceau de Molière : celui de Le Sage y suffirait avec une étude plus savante des mœurs et une connaissance plus familière et plus intime d’une certaine classe de la société que l’auteur de Gil Blas n’avait pas assez observée ou qu’il ne voyait que de loin. Mais, du côté sérieux et grave, nul homme n’eût excellé dans ce genre comme Rousseau, l’auteur d’Émile, si sa mélancolie lui avait permis de voir le monde tel qu’il est, et qu’il lui eût été possible d’en faire la censure avec une équité rigide, sans prévention et sans humeur. »


Il en résulte qu’avec sa phrase à double tranchant, et sans plus de façon, Marmontel retranche d’un côté l’auteur de Gil Blas, et de l’autre celui de la Nouvelle Héloïse : c’est se montrer bien rigoureux. On aura remarqué, pourtant, cette sorte de reproche qui est fait à Le Sage de n’avoir pas assez vu la bonne compagnie. De loin, le reproche pour nous disparaît. Est-ce donc que les romans de Duclos, de Marivaux, de Crébillon fils, témoignent mieux de ce commerce avec la bonne compagnie ? Gil Blas, à nos yeux, n’est pas l’homme du monde, c’est l’homme même.

La Harpe, si bon critique quand il parle de ce qu’il sait et qu’il ne se laisse pas troubler par la passion, est le premier qui ait convenablement apprécié Gil