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gnons crier à pleine tête : Victoire ! victoire ! À cette acclamation, la terreur qui s’était emparée de mes sens se dissipa, et j’aperçus sur le champ de bataille les quatre cavaliers étendus sans vie. De notre côté, nous n’eûmes qu’un homme de tué : ce fut l’apostat, qui n’eut, en cette occasion, que ce qu’il méritait pour son apostasie et pour ses mauvaises plaisanteries sur les scapulaires. Un de nos cavaliers reçut une balle à la rotule du genou droit. Le lieutenant fut aussi blessé, mais fort légèrement, le coup n’ayant fait qu’effleurer la peau.

Le seigneur Rolando courut d’abord à la portière du carrosse. Il y avait dedans une dame de vingt-quatre à vingt-cinq ans, qui lui parut très belle malgré le triste état où il la voyait. Elle s’était évanouie pendant le combat, et son évanouissement durait encore. Tandis qu’il s’occupait à la considérer, nous songeâmes, nous autres, au butin. Nous commençâmes par nous assurer des chevaux des cavaliers tués, car ces animaux, épouvantés du bruit des coups, s’étaient un peu écartés après avoir perdu leurs guides. Pour les mules, elles n’avaient pas branlé, quoique, durant l’action, le cocher eût quitté son siège pour se sauver. Nous mîmes pied à terre pour les dételer, et nous les chargeâmes de plusieurs malles que nous trouvâmes attachées, devant et derrière le carrosse. Cela fait, on prit, par ordre du capitaine, la dame qui n’avait point encore rappelé ses esprits, et on la mit à cheval entre les mains d’un voleur des plus robustes et des mieux montés ; puis, laissant sur le grand chemin le carrosse et les morts dépouillés, nous emmenâmes avec nous la dame, les mules et les chevaux.