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veau, tous les voleurs éclatèrent en ris immodérés. Vive Dieu ! s’écria le lieutenant, nous avons bien de l’obligation à Gil Blas : il vient, pour son coup d’essai, de faire un vol salutaire à la compagnie. Cette plaisanterie en attira d’autres. Ces scélérats, et particulièrement celui qui avait apostasié, commencèrent à s’égayer sur la matière.

Il leur échappa mille traits qu’il ne m’est pas permis de rapporter, et qui marquaient bien le dérèglement de leurs mœurs. Moi seul, je ne riais pas. Il est vrai que les railleurs m’en ôtaient l’envie en se réjouissant aussi à mes dépens. Chacun me lança son trait, et le capitaine me dit : Ma foi, Gil Blas, je te conseille, en ami, de ne te plus jouer aux moines ; ce sont des gens trop fins et trop rusés pour toi.


CHAPITRE IX

De l’événement sérieux qui suivit cette aventure.


Nous demeurâmes dans le bois la plus grande partie de la journée, sans apercevoir aucun voyageur qui pût payer pour le religieux. Enfin nous en sortîmes pour retourner au souterrain, bornant nos exploits à ce risible événement, qui faisait encore le sujet de notre entretien, lorsque nous découvrîmes de loin un carrosse à quatre mules. Il venait à nous au grand trot et il était accompagné de trois hommes à cheval qui me parurent bien armés et bien disposés à nous recevoir, si nous étions assez hardis pour les insulter. Rolando fit faire halte à la troupe, pour tenir conseil là-dessus, et le résultat fut qu’on attaquerait. Aussitôt, il nous rangea de la manière qu’il voulut, et nous marchâmes en bataille au-devant du carrosse. Malgré les applaudissements que j’avais reçus dans le bois, je me sentis saisi d’un grand tremblement, et bientôt il sortit de tout