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des courses avec eux, je leur échapperais quelque jour. Cette seule espérance soutenait ma vie. L’attente néanmoins me paraissait longue, et je ne laissai pas d’essayer plus d’une fois de surprendre la vigilance de Domingo : mais il n’y eut pas moyen, il était trop sur ses gardes. J’aurais défié cent Orphées de charmer ce Cerbère. Il est vrai aussi que, de peur de me rendre suspect, je ne faisais pas tout ce que j’aurais pu faire pour le tromper. Il m’observait, et j’étais obligé d’agir avec beaucoup de circonspection pour ne me pas trahir. Je m’en remettais donc au temps que les voleurs m’avaient prescrit pour me recevoir dans leur troupe, et je l’attendais avec autant d’impatience que si j’eusse dû entrer dans une compagnie de traitants.

Grâce au ciel, six mois après, ce temps arriva. Le seigneur Rolando dit à ses cavaliers : Messieurs, il faut tenir la parole que nous avons donnée à Gil Blas. Je n’ai pas mauvaise opinion de ce garçon-là ; il me paraît fait pour marcher sur nos traces ; je crois que nous en ferons quelque chose. Je suis d’avis que nous le menions demain avec nous cueillir des lauriers sur les grands chemins. Prenons soin nous-mêmes de le dresser à la gloire. Les voleurs furent tous du sentiment de leur capitaine ; et pour me faire voir qu’ils me regardaient déjà comme un de leurs compagnons, dès ce moment ils me dispensèrent de les servir. Ils rétablirent la dame Léonarde dans l’emploi qu’on lui avait ôté pour m’en charger. Ils me firent quitter mon habillement, qui consistait en une simple soutanelle fort usée, et ils me parèrent de toute la dépouille d’un gentilhomme nouvellement volé. Après cela, je me disposai à faire ma première campagne.