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eue de m’envoyer à Salamanque ; je me repentis d’avoir craint la justice de Cacabelos ; j’aurais voulu être à la question. Mais, considérant que je me consumais en plaintes vaines, je me mis à rêver aux moyens de me sauver ; et je me dis en moi-même : Est-il donc impossible de me tirer d’ici ? Les voleurs dorment : la cuisinière et le nègre en feront bientôt autant : pendant qu’ils seront tous endormis, ne puis-je, avec cette lampe, trouver l’allée par où je suis descendu dans cet enfer ? Il est vrai que je ne me crois pas assez fort pour lever la trappe qui est à l’entrée. Cependant, voyons : je ne veux rien avoir à me reprocher. Mon désespoir me prêtera des forces, et j’en viendrai peut-être à bout.

Je formai donc ce grand dessein. Je me levai quand je jugeai que Léonarde et Domingo reposaient. Je pris la lampe et sortis du caveau en me recommandant à tous les saints du paradis. Ce ne fut pas sans peine que je démêlai les détours de ce nouveau labyrinthe. J’arrivai pourtant à la porte de l’écurie, et j’aperçus enfin l’allée que je cherchais. Je marche, je m’avance vers la trappe avec une joie mêlée de crainte ; mais, hélas ! au milieu de l’allée je rencontrai une maudite grille de fer bien fermée, et dont les barreaux étaient si près l’un de l’autre, qu’on y pouvait à peine passer la main. Je me trouvai bien sot à la vue de ce nouvel obstacle, dont je ne m’étais point aperçu en entrant, parce que la grille était alors ouverte. Je ne laissai pas pourtant de tâter les barreaux. J’examinai la serrure, je tâchais même de la forcer, lorsque tout à coup je me sentis appliquer entre les deux épaules cinq ou six coups de nerf de bœuf. Je poussai un cri si perçant que le souterrain en retentit ; et, regardant aussitôt derrière moi, je vis le vieux nègre en chemise, qui d’une main tenait une lanterne sourde, et de l’autre l’instrument de mon supplice. Ah ! ah ! dit-il, petit drôle, vous voulez vous sauver ! Oh ! ne pensez pas que vous puissiez me surprendre ; je vous ai bien entendu.