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en riant ; dites-nous plutôt de vous attendre sous l’orme ! Si vous nous quittez, nous avons bien la mine de ne vous revoir de longtemps. Ce soupçon nous offense, répliqua le seigneur Ambroise ; mais nous méritons que vous nous fassiez cet outrage. Vous êtes excusable de vous défier de nous, après ce que avons fait à Valladolid, et de vous imaginer que nous ne nous ferions pas plus de scrupule de vous abandonner que les camarades que nous avons laissés dans cette ville. Vous vous trompez pourtant. Les confrères à qui nous avons faussé compagnie étaient des personnes d’un fort mauvais caractère, et dont la société commençait à nous devenir insupportable. Il faut rendre cette justice aux gens de notre profession, qu’il n’y a point d’associés dans la vie civile que l’intérêt divise moins ; mais quand il n’y a pas entre nous de conformité d’inclinations, notre bonne intelligence peut s’altérer comme celle du reste des hommes. Ainsi, seigneur Gil Blas, poursuivit Lamela, je vous prie, vous et le seigneur don Alphonse, d’avoir un peu plus de confiance en nous, et de vous mettre l’esprit en repos sur l’envie que nous avons, don Raphaël et moi, d’aller à Ségorbe.

Il est bien aisé, dit alors le fils de Lucinde, de leur ôter la-dessus tout sujet d’inquiétude : ils n’ont qu’à demeurer maîtres de la caisse, ils auront entre les mains une bonne caution de notre retour. Vous voyez, seigneur Gil Blas, ajouta-t-il, que nous allons d’abord au fait. Vous serez tous deux nantis, et je puis vous assurer que nous partirons, Ambroise et moi, sans appréhender que vous ne nous souffliez ce précieux nantissement. Après une marque si certaine de notre bonne foi, ne vous fierez-vous pas entièrement à nous ? Oui, messieurs, leur dis-je, et vous pouvez présentement faire tout ce qu’il vous plaira. Ils partirent sur-le-champ, chargés de l’outre et de la besace, et me laissèrent sous les saules avec don Alphonse, qui me dit après leur départ : Il faut, seigneur Gil Blas, il faut que je