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Apprenez-moi encore, mon ami, poursuivit Lamela si vous n’avez jamais vu votre maître caresser de petits enfants. Mille fois, répondit Gaspard. Lorsqu’il voit passer des petits garçons devant notre boutique, pour peu qu’ils soient jolis, il les arrête et les flatte. Écrivez, greffier, interrompit l’inquisiteur, que Samuel Simon est violemment soupçonné d’attirer chez lui les enfants des chrétiens pour les égorger. L’aimable prosélyte ! Oh ! oh ! monsieur Simon, vous aurez affaire au Saint-Office sur ma parole ! ne vous imaginez pas qu’il vous laisse faire impunément vos barbares sacrifices. Courage, zélé Gaspard, dit-il au garçon marchand, déclarez tout ; achevez de faire connaître que ce faux catholique est attaché plus que jamais aux coutumes et aux cérémonies des juifs. N’est-il pas vrai que dans la semaine vous le voyez un jour dans une inaction totale ? Non, répondit Gaspard, je n’ai point remarqué celui-là. Je m’aperçois seulement qu’il y a des jours où il s’enferme dans son cabinet, et qu’il y demeure très longtemps. Eh ! nous y voilà, s’écria le commissaire ; il fait le sabbat, ou je ne suis pas inquisiteur. Marquez, greffier, marquez qu’il observe religieusement le jeûne du sabbat. Ah ! l’abominable homme ! Il ne me reste plus qu’une chose à demander. Ne parle-t-il pas aussi de Jérusalem ? Fort souvent, repartit le garçon. Il nous conte l’histoire des juifs, et de quelle manière fut détruit le temple de Jérusalem. Justement, reprit Ambroise ; ne laissez pas échapper ce trait-là, greffier : écrivez, en gros caractères, que Samuel Simon ne respire que la restauration du temple, et qu’il médite jour et nuit le rétablissement de la nation. Je n’en veux pas savoir davantage, et il est inutile de faire d’autres questions. Ce que vient de déposer le véridique Gaspard suffirait pour faire brûler toute une juiverie.

Après que monsieur le commissaire du Saint-Office eut interrogé de cette sorte le garçon marchand, il lui dit qu’il pouvait se retirer ; mais il lui ordonna, de la part