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dont il prévoyait, disait-il, que nous serions bien payés. J’ose dire aussi qu’en cette occasion le péril ne m’épouvanta point, et que jamais aucun chevalier errant ne se montra plus prompt au service des demoiselles. Mais pour dire les choses sans trahir la vérité, le danger n’était pas grand ; car, Lamela nous ayant rapporté que les armes des voleurs étaient toutes en un monceau à dix ou douze pas d’eux, il ne nous fut pas fort difficile d’exécuter notre dessein. Nous liâmes notre cheval à un arbre, et nous nous approchâmes à petit bruit de l’endroit où étaient les brigands. Ils s’entretenaient avec beaucoup de chaleur, et faisaient un bruit qui nous aidait à les surprendre. Nous nous rendîmes maîtres de leurs armes avant qu’ils nous découvrissent ; puis, tirant sur eux à bout portant, nous les étendîmes tous sur la place.

Pendant cette expédition la chandelle s’éteignit, de sorte que nous demeurâmes dans l’obscurité. Nous ne laissâmes pas toutefois de délier l’homme et la femme, que la crainte tenait saisis à un point qu’ils n’avaient pas la force de nous remercier de ce que nous venions de faire pour eux. Il est vrai qu’ils ignoraient encore s’ils devaient nous regarder comme leurs libérateurs, ou comme de nouveaux bandits qui ne les enlevaient point aux autres pour les mieux traiter. Mais nous les rassurâmes en leur disant que nous allions les conduire jusqu’à une hôtellerie qu’Ambroise soutenait être à une demi-lieue de là, et qu’ils pourraient en cet endroit prendre toutes les précautions nécessaires pour se rendre sûrement où ils avaient affaire. Après cette assurance, dont ils parurent très satisfaits, nous les remîmes dans leur chaise, et les tirâmes hors du bois en tenant la bride de leurs mules. Nos anachorètes visitèrent ensuite les poches des vaincus. Puis nous allâmes reprendre le cheval de don Alphonse. Nous prîmes aussi ceux des voleurs que nous trouvâmes attachés à des arbres auprès du champ de bataille. Puis,