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furets de la justice de Cuença qu’on aurait mis sur nos traces, et qui, nous sentant dans cette forêt, nous y viendraient chercher ? Je ne le crois pas, dit Ambroise ; ce sont plutôt des voyageurs. La nuit les aura surpris et ils seront entrés dans ce bois pour y attendre le jour. Mais, ajouta-t-il, je puis me tromper : je vais reconnaître ce que c’est. Demeurez ici tous trois ; je serai de retour dans un moment. À ces mots, il s’avance vers la lumière qui n’était pas fort éloignée ; il s’en approche à pas de loup. Il écarte doucement les feuilles et les branches qui s’opposent à son passage, et regarde avec toute l’attention que la chose lui paraît mériter. Il vit sur l’herbe, autour d’une chandelle qui brûlait dans une motte de terre, quatre hommes assis, qui achevaient de manger un pâté et de vider une assez grosse outre qu’ils baisaient à la ronde. Il aperçut encore à quelques pas d’eux une femme et un cavalier attachés à des arbres, et un peu plus loin une chaise roulante, avec deux mules richement caparaçonnées. Il jugea d’abord que les hommes assis devaient être des voleurs ; les discours qu’il leur entendit tenir lui firent connaître qu’il ne se trompait pas dans sa conjecture. Les quatre brigands faisaient voir une égale envie de posséder la dame qui était tombée entre leurs mains, et ils parlaient de la tirer au sort. Lamela, instruit de ce que c’était, vint nous rejoindre, et nous fit un fidèle rapport de tout ce qu’il avait vu et entendu.

Messieurs, dit alors don Alphonse, cette dame et ce cavalier que les voleurs ont attachés à des arbres sont peut-être des personnes de la première qualité. Souffrirons-nous que des brigands les fassent servir de victimes à leur barbarie et à leur brutalité ? Croyez-moi, chargeons ces bandits ; qu’ils tombent sous nos coups. J’y consens, dit don Raphaël. Je ne suis pas moins prêt à faire une bonne action qu’une mauvaise. Ambroise, de son côté, témoigna qu’il ne demandait pas mieux que de prêter la main à une entreprise si louable, et