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se sauver tandis que nous nous battions. Je le poursuivis jusque dans la rue, où je rejoignis Lamela, qui, n’ayant pu tirer un seul mot des femmes qu’il avait vues fuir, ne savait précisément ce qu’il devait juger du bruit qu’il venait d’entendre. Nous retournâmes à notre auberge. Nous prîmes ce que nous avions de meilleur et, montant sur nos mules, nous sortîmes de la ville sans attendre le jour.

Nous comprîmes bien que cette affaire pourrait avoir des suites, et qu’on ferait dans Tolède des perquisitions que nous n’avions pas tort de prévenir. Nous allâmes coucher à Villarubia. Nous logeâmes dans une hôtellerie où, quelque temps après nous, il arriva un marchand de Tolède qui allait à Ségorbe. Nous soupâmes avec lui. Il nous conta l’aventure tragique du mari de Violante ; et il était si éloigné de nous soupçonner d’y avoir part, que nous lui fîmes hardiment toutes sortes de questions. Messieurs, nous dit-il, comme je partais ce matin, j’ai appris ce triste événement. On cherchait partout Violante ; et l’on m’a dit que le corrégidor, qui est parent de don Baltazar, a résolu de ne rien épargner pour découvrir les auteurs de ce meurtre. Voilà tout ce que je sais.

Je ne fus guère alarmé des recherches du corrégidor de Tolède. Cependant je formai la résolution de sortir promptement de la Castille Nouvelle. Je fis réflexion que Violante retrouvée avouerait tout, et que, sur le portrait qu’elle ferait de ma personne à la justice, on mettrait des gens à mes trousses. Cela fut cause que dès le jour suivant nous évitâmes le grand chemin par précaution. Heureusement Lamela connaissait les trois quarts de l’Espagne, et savait par quels détours nous pouvions sûrement nous rendre en Aragon. Au lieu d’aller tout droit à Cuença, nous nous engageâmes dans les montagnes qui sont devant cette ville ; et, par des sentiers qui n’étaient pas inconnus à mon guide, nous arrivâmes devant une grotte qui me parut avoir tout