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rèrent, et le reçurent avec tant d’effronterie, qu’il se douta bien qu’on m’avait caché ou fait évader. Je ne vous dirai point ce qu’il dit à dona Inès et à sa femme ; c’est une chose qui n’est pas venue à ma connaissance.

Cependant, sans soupçonner encore que je fusse la dupe de don Baltazar, je sortis en le maudissant, et je retournai à la grande place, où j’avais donné rendez-vous à Lamela. Je ne l’y trouvai point. Il avait aussi ses petites affaires, et le fripon était plus heureux que moi. Comme je l’attendais, je vis arriver mon perfide confident, qui avait un air gai. Il me joignit, et me demanda en riant des nouvelles de mon tête-à-tête avec ma nymphe chez dona Inès. Je ne sais, lui dis-je, quel démon jaloux de mes plaisirs se plaît à les traverser ; mais tandis que, seul avec ma dame, je la pressais de faire mon bonheur, son mari, que le ciel confonde, est venu frapper à la porte de la maison. Il a fallu promptement songer à me retirer. Je suis sorti par une porte de derrière, en donnant à tous les diables le fâcheux qui rompait toutes mes mesures. J’en ai un véritable chagrin, s’écria don Baltazar, qui sentait une secrète joie de voir ma peine. Voilà un impertinent mari : je vous conseille de ne lui point faire de quartier. Oh ! je suivrai vos conseils, lui répliquai-je, et je puis vous assurer que son honneur passera le pas cette nuit. Sa femme, quand je l’ai quittée, m’a dit de ne me pas rebuter pour si peu de chose ; que je ne manque pas de me rendre sous ses fenêtres de meilleure heure qu’à l’ordinaire ; qu’elle est résolue à me faire entrer chez elle, mais qu’à tout hasard j’aie la précaution de me faire escorter par deux ou trois amis, de crainte de surprise. Que cette dame est prudente ! dit-il. Je m’offre à vous accompagner. Ah ! mon cher ami, m’écriai-je tout transporté de joie en jetant mes bras au cou de don Baltazar, que je vous ai d’obligation ! Je ferai plus, reprit-il ; je connais un jeune homme qui est un César : il sera de