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Elle ne tarda guère à s’apercevoir de sa conquête. Je commençai à suivre partout ses pas, et à faire cent folies pour lui persuader que je ne demandais pas mieux que de la consoler des infidélités de son époux. La belle fit là-dessus ses réflexions, qui furent telles, que j’eus enfin le plaisir de connaître que mes intentions étaient approuvées. Je reçus d’elle un billet en réponse de plusieurs que je lui avais fait tenir par une de ces vieilles, qui sont d’une si grande commodité en Espagne et en Italie. La dame me mandait que son mari soupait tous les soirs chez sa maîtresse, et ne revenait au logis que fort tard. Je compris bien ce que cela signifiait. Dès la même nuit j’allai sous les fenêtres de Violante, et je liai avec elle une conversation des plus tendres. Avant que de nous séparer, nous convînmes que toutes les nuits, à pareille heure, nous pourrions nous entretenir de la même manière, sans préjudice de tous les autres actes de galanterie qu’il nous serait permis d’exercer le jour.

Jusque-là don Baltazar (ainsi se nommait l’époux de Violante) en avait été quitte à bon marché ; mais je voulais aimer physiquement, et je me rendis un soir sous les fenêtres de la dame, dans le dessein de lui dire que je ne pouvais plus vivre, si je n’avais un tête-à-tête avec elle dans un lieu plus convenable à l’excès de mon amour ; ce que je n’avais pu encore obtenir d’elle. Mais comme j’arrivais, je vis venir dans la rue un homme qui semblait m’observer. En effet, c’était le mari qui revenait de chez sa courtisane de meilleure heure qu’à l’ordinaire, et qui, remarquant un cavalier près de sa maison, au lieu d’y entrer, se promenait dans la rue. J’y demeurai quelque temps incertain de ce que je devais faire. Enfin, je pris le parti d’aborder don Baltazar, que je ne connaissais point, et dont je n’étais pas connu. Seigneur cavalier, lui dis-je, laissez-moi, je vous prie, la rue libre pour cette nuit ; j’aurai une autre fois la même complaisance pour vous. Sei-