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homme, peu scrupuleux de votre naturel, et profès dans notre ordre.

La franchise de ce fripon excita la mienne. Puisque vous me parlez à cœur ouvert, lui dis-je, vous méritez que je m’explique de même avec vous. Véritablement je ne suis pas novice dans votre profession ; et si ma modestie me permettait de conter mes exploits, vous verriez que vous n’avez pas jugé trop avantageusement de moi ; mais je laisse là les louanges, et je me contenterai de vous dire, en acceptant la place que vous m’offrez dans votre compagnie, que je ne négligerai rien pour vous prouver que je n’en suis pas indigne. Je n’eus pas sitôt dit à cet ambidextre que je consentais d’augmenter le nombre de ses camarades, qu’il me conduisit où ils étaient, et là je fis connaissance avec eux. C’est dans cet endroit que je vis pour la première fois l’illustre Ambroise de Lamella. Ces messieurs m’interrogèrent sur l’art de s’approprier finement le bien du prochain. Ils voulurent savoir si j’avais des principes : mais je leur montrai bien des tours qu’ils ignoraient, et qu’ils admirèrent. Ils furent encore plus étonnés, lorsque, méprisant la subtilité de ma main, comme une chose trop ordinaire, je leur dis que j’excellais dans les fourberies qui demandent de l’esprit. Pour le leur persuader, je leur racontai l’aventure de Jérôme de Moyadas, et, sur le simple récit que j’en fis, ils me trouvèrent un génie si supérieur, qu’ils me choisirent d’une commune voix pour leur chef. Je justifiai bien leur choix par une infinité de friponneries que nous fîmes, et dont je fus, pour ainsi parler, la cheville ouvrière. Quand nous avions besoin d’une actrice pour nous seconder, nous nous servions de Camille, qui jouait à ravir tous les rôles qu’on lui donnait.

Dans ce temps-là, notre confrère Ambroise fut tenté de revoir sa patrie. Il partit pour la Galice, en nous assurant que nous pouvions compter sur son retour. Il contenta son envie ; et comme il s’en revenait, étant