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bâton. Le moins cruel de ces Italiens, et celui qui opina le plus favorablement pour le coupable, dit qu’il se contenterait de le faire précipiter du haut d’une tour en bas. Et don Raphaël, reprit alors le grand-duc, de quelle opinion est-il ? Je suis persuadé que les Espagnols ne sont pas moins sévères que les Italiens dans de semblables conjonctures.

Je compris bien, comme vous pouvez penser, que Mascarini n’avait pas gardé son serment, ou que sa femme avait trouvé moyen d’instruire le prince de ce qui s’était passé entre elle et moi. On remarquait sur mon visage le trouble qui m’agitait. Cependant, tout troublé que j’étais, je répondis d’un ton ferme au grand-duc : Seigneur, les Espagnols sont plus généreux ; ils pardonneraient en cette occasion au confident, et feraient naître, par cette bonté, dans son âme un regret éternel de les avoir trahis. Eh bien ! me dit le prince, je me sens capable de cette générosité ; je pardonne au traître : aussi bien je ne dois m’en prendre qu’à moi-même d’avoir donné ma confiance à un homme que je ne connaissais point, et dont j’avais sujet de me défier, après tout ce qu’on m’en avait dit. Don Raphaël, ajouta-t-il, voici de quelle manière je veux me venger de vous. Sortez incessamment de mes États, et ne paraissez plus devant moi. Je me retirai sur-le-champ, moins affligé de ma disgrâce, que ravi d’en être quitte à si bon marché. Je m’embarquai dès le lendemain dans un vaisseau de Barcelone, qui sortait du port de Livourne pour s’en retourner.

J’interrompis don Raphaël dans cet endroit de son histoire. Pour un homme d’esprit, lui dis-je, vous fîtes, ce me semble, une grande faute de ne pas quitter Florence immédiatement après avoir découvert à Mascarini l’amour du prince pour Lucrèce. Vous deviez bien vous imaginer que le grand-duc ne tarderait pas à savoir votre trahison. J’en demeure d’accord répondit le fils de Lucinde : aussi, malgré l’assurance que le