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quèrent pas de le dire au prince, dans l’espérance de me nuire. Ils n’en vinrent pourtant pas à bout ; au contraire, le grand-duc un jour m’obligea de lui faire une relation fidèle de mon voyage d’Alger. Je lui obéis, et mes aventures, que je ne lui déguisai point, le réjouirent infiniment.

Don Raphaël, me dit-il après que j’en eus achevé le récit, j’ai de l’amitié pour vous, et je veux vous en donner une marque qui ne vous permettra pas d’en douter. Je vous fais dépositaire de mes secrets ; et, pour commencer à vous mettre dans ma confidence, je vous dirai que j’aime la femme d’un de mes ministres. C’est la dame de ma cour la plus aimable, mais en même temps la plus vertueuse. Renfermée dans son domestique, uniquement attachée à un époux qui l’idolâtre, elle semble ignorer le bruit que ses charmes font dans Florence. Jugez si cette conquête est difficile ! Cependant cette beauté, tout inaccessible qu’elle est aux amants, a quelquefois entendu mes soupirs. J’ai trouvé moyen de lui parler sans témoins. Elle connaît mes sentiments. Je ne me flatte point de lui avoir inspiré de l’amour ; elle ne m’a point donné sujet de former une si agréable pensée. Je ne désespère pas toutefois de lui plaire par ma constance et par la conduite mystérieuse que je prends soin de tenir.

La passion que j’ai pour cette dame, continua-t-il n’est connue que d’elle seule. Au lieu de suivre mon penchant sans contrainte et d’agir en souverain, je dérobe à tout le monde la connaissance de mon amour. Je crois devoir ce ménagement à Mascarini : c’est l’époux de la personne que j’aime. Le zèle et l’attachement qu’il a pour moi, ses services et sa probité m’obligent à me conduire avec beaucoup de secret et de circonspection. Je ne veux pas enfoncer un poignard dans le sein de ce mari malheureux, en me déclarant amant de sa femme. Je voudrais qu’il ignorât toujours, s’il est possible, l’ardeur dont je me sens brûler, car je suis persuadé qu’il