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sement du monde au port de Livourne, où je crois que toute la ville accourut pour nous voir débarquer. Le père de mon esclave Azarini se trouva, par hasard ou par curiosité, parmi les spectateurs. Il considérait attentivement tous mes captifs à mesure qu’ils mettaient pied à terre ; mais, quoiqu’il cherchât en eux les traits de son fils, il ne s’attendait pas à le revoir. Que de transports, que d’embrassements suivirent leur reconnaissance, quand ils vinrent tous deux à se reconnaître !

Sitôt qu’Azarini eut appris à son père qui j’étais et ce qui m’amenait à Livourne, le vieillard m’obligea, de même que Béatrix, à prendre un logement chez lui. Je passerai sous silence le détail de mille choses qu’il me fallut faire pour rentrer dans le sein de l’Église ; je dirai seulement que j’abjurai le mahométisme de meilleure foi que je ne l’avais embrassé. Après m’être entièrement purgé de ma gale d’Alger, je vendis mon vaisseau, et donnai la liberté à tous mes esclaves. Pour les Turcs on les retint dans les prisons de Livourne, pour les échanger contre des chrétiens. Je reçus de l’un et de l’autre Azarini toutes sortes de bons traitements ; le fils épousa même ma sœur Béatrix, qui n’était pas à la vérité un mauvais parti pour lui, puisqu’elle était fille d’un gentilhomme, et qu’elle avait le château de Xerica, que ma mère avait pris soin de donner à bail à un riche laboureur de Paterna, lorsqu’elle voulut passer en Sicile.

De Livourne, après y avoir demeuré quelque temps, je partis pour Florence, que j’avais envie de voir. Je n’y allai pas sans lettre de recommandation. Azarini le père avait des amis à la cour du grand-duc, et il me recommandait à eux comme un gentilhomme espagnol qui était son allié. J’ajoutai le don à mon nom, imitant en cela bien des Espagnols roturiers qui prennent sans façon ce titre d’honneur hors de leur pays. Je me faisais donc effrontément appeler don Raphaël ; et, comme