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Astuto tomba malade, et mourut sans enfants. Avec le bien dont il m’avait avantagée en m’épousant, et celui que je possédais déjà, je me vis une riche douairière. Aussi j’en avais la réputation ; et sur ce bruit un gentilhomme sicilien, nommé Colifichini, résolut de s’attacher à moi pour me ruiner ou pour m’épouser. Il me laissa la préférence. Il était venu de Palerme pour voir l’Espagne ; et, après avoir satisfait sa curiosité, il attendait, disait-il, à Valence l’occasion de repasser en Sicile. Le cavalier n’avait pas vingt-cinq ans, il était bien fait quoique petit, et sa figure enfin me revenait. Il trouva moyen de me parler en particulier ; et, je vous l’avouerai franchement, j’en devins folle dès le premier entretien que j’eus avec lui. De son côté, le petit fripon se montra fort épris de mes charmes. Je crois, Dieu me pardonne, que nous nous serions mariés sur-le-champ, si la mort du procureur, encore toute récente, m’eût permis de contracter sitôt un nouvel engagement. Mais, depuis que je m’étais mise dans le goût des hyménées, je gardais des mesures avec le monde.

Nous convînmes donc de différer notre mariage de quelque temps par bienséance. Cependant Colifichini me rendait des soins ; et son amour, loin de se ralentir, semblait devenir plus vif de jour en jour. Le pauvre garçon n’était pas trop bien en argent comptant. Je m’en aperçus, et il ne manqua plus d’espèces. Outre que j’avais presque deux fois son âge, je me souvenais d’avoir fait contribuer les hommes dans ma jeunesse ; et je regardais ce que je donnais, comme une façon de restitution qui acquittait ma conscience. Nous attendîmes, le plus patiemment qu’il nous fut possible, le temps que le respect humain prescrit aux veuves pour se remarier. Lorsqu’il fut arrivé, nous allâmes à l’autel, où nous nous liâmes l’un à l’autre par des nœuds éternels. Nous nous retirâmes ensuite dans mon château, et je puis dire que nous y vécûmes pendant deux années, moins en époux qu’en tendres amants. Mais,