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rien. Soliman vient de partir pour sa maison de campagne : il y sera toute la journée : nous pouvons nous entretenir ici librement.

Ces paroles me rassurèrent, et me firent prendre une contenance qui redoubla la joie de la favorite. Vous m’avez plu, poursuivit-elle, et je prétends adoucir la rigueur de votre esclavage. Je vous crois digne des sentiments que j’ai conçus pour vous. Quoique sous les habits d’un esclave, vous avez un air noble et galant, qui fait connaître que vous n’êtes point une personne du commun. Parlez-moi confidemment ; dites-moi qui vous êtes. Je sais bien que les captifs qui ont de la naissance déguisent leur condition pour être rachetés à meilleur marché ; mais vous êtes dispensé d’en user de la sorte avec moi, et même ce serait une précaution qui m’offenserait, puisque je vous promets votre liberté. Soyez donc sincère, et m’avouez que vous êtes un jeune homme de bonne maison. Effectivement, madame, lui répondis-je, il me siérait mal de payer vos bontés de dissimulation. Vous voulez absolument que je vous découvre ma qualité ; il faut vous satisfaire. Je suis fils d’un grand d’Espagne. Je disais peut-être la vérité, du moins la sultane le crut ; et s’applaudissant d’avoir jeté les yeux sur un cavalier d’importance, elle m’assura qu’il ne tiendrait pas à elle que nous ne nous vissions souvent en particulier. Nous eûmes ensemble un fort long entretien. Je n’ai jamais vu de femme plus amusante. Elle savait plusieurs langues, et surtout la castillane, qu’elle parlait assez bien. Lorsqu’elle jugea qu’il était temps de nous séparer, je me mis, par son ordre dans une grande corbeille d’osier, couverte d’un ouvrage de soie fait de sa main ; puis les deux esclaves qui m’avaient apporté furent appelés, et ils me remportèrent comme un présent que la favorite envoyait au pacha ; ce qui est sacré pour tous les hommes commis à la garde des femmes.

Nous trouvâmes, Farrukhnaz et moi, d’autres