Page:Lesage - Histoire de Gil Blas de Santillane, 1920, tome 1.djvu/381

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’ils bordaient l’entrée d’une caverne très profonde. Cette caverne était large et peu sombre : nous descendîmes au fond en tournant, par des degrés de pierre dont les extrémités étaient parées de fleurs, et qui formaient naturellement un escalier en limaçon. Lorsque nous fûmes en bas, nous vîmes serpenter sur un sable plus jaune que l’or plusieurs petits ruisseaux qui tiraient leurs sources des gouttes d’eau que les rochers distillaient sans cesse en dedans et qui se perdaient sous la terre. L’eau nous parut si belle, que nous en voulûmes boire, et nous la trouvâmes si fraîche, que nous résolûmes de revenir le jour suivant dans cet endroit, et d’y apporter quelques bouteilles de vin, persuadés qu’on ne les boirait point là sans plaisir.

Nous ne quittâmes qu’à regret un lieu si agréable ; et, lorsque nous fûmes de retour au fort, nous ne manquâmes pas de vanter à nos camarades une si belle découverte : mais le commandant de la forteresse nous dit qu’il nous avertissait en ami de ne plus aller à la caverne dont nous étions si charmés. Eh ! pourquoi cela ? lui dis-je ; y a-t-il quelque chose à craindre ? Sans doute, me répondit-il. Les corsaires d’Alger et de Tripoli descendent quelquefois dans cette île, et viennent faire provision d’eau à cette fontaine. Ils y surprirent un jour deux soldats de ma garnison, qu’ils firent esclaves. L’officier eut beau parler d’un air très sérieux, il ne put nous persuader. Nous crûmes qu’il plaisantait, et dès le lendemain je retournai à la caverne avec trois cavaliers de l’équipage. Nous y allâmes même sans armes à feu, pour faire voir que nous n’appréhendions rien. Le jeune Morales ne voulut point être de la partie ; il aima mieux, aussi bien que son frère, demeurer à jouer dans le fort.

Nous descendîmes au fond de l’antre comme le jour précédent, et nous fîmes rafraîchir dans les ruisseaux quelques bouteilles de vin que nous avions apportées. Pendant que nous les buvions délicieusement, en