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des démarches qu’il jugeait bien que Pedro ne manquerait pas de faire, et il m’attendait avec impatience pour m’informer de ce qui se passait. Je le trouvai plongé dans une profonde rêverie. Qu’y a-t-il, mon ami ? lui dis-je ; tu me parais bien occupé. Ce n’est pas sans raison, me répondit-il. En même temps il me mit au fait. Tu vois, ajouta-t-il ensuite, si j’ai tort de rêver. C’est toi, téméraire, qui nous a jetés dans cet embarras. L’entreprise, je l’avoue, était brillante, et t’aurait comblé de gloire si elle eût réussi ; mais, selon toutes les apparences, elle finira mal ; et je serais d’avis, pour prévenir les éclaircissements, que nous prissions la fuite avec la plume que nous avons tirée de l’aile du bonhomme.

Monsieur Morales, repris-je à ce discours, n’allons pas si vite ; vous cédez bien promptement aux difficultés. Vous ne faites guère d’honneur à don Mathias de Cordel, ni aux autres cavaliers avec qui vous avez demeuré à Tolède. Quand on a fait son apprentissage sous de si grands maîtres, on ne doit pas si facilement s’alarmer. Pour moi, qui veux marcher sur les traces de ces héros, et prouver que j’en suis un digne élève, je me raidis contre l’obstacle qui vous épouvante, et je me fais fort de le lever. Si vous en venez à bout, me dit mon compagnon, je vous mettrai au-dessus de tous les grands hommes de Plutarque.

Comme Morales achevait de parler, Jérôme de Moyadas entra. Je viens, me dit-il, de tout disposer pour votre mariage ; vous serez mon gendre dès ce soir. Votre valet, ajouta-t-il, doit vous avoir confié ce qui vient d’arriver. Que dites-vous de l’effronterie du fripon qui m’a voulu persuader qu’il était fils du correspondant de mon frère ? Morales était bien en peine de savoir comment je me tirerais de ce mauvais pas, et il ne fut pas peu surpris de m’entendre, lorsque, regardant tristement Moyadas, je répondis d’un air ingénu à ce bourgeois : Seigneur, il ne tiendrait qu’à moi de vous