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l’époux de Florentine ; il ajouta même qu’au lieu de six mille ducats qu’il avait promis pour sa dot, il en donnerait dix mille, pour me témoigner jusqu’à quel point il était pénétré du service que je lui avais rendu.

Nous étions donc, Morales et moi, chez le bonhomme Jérôme de Moyadas, bien traités et dans l’agréable attente de toucher dix mille ducats, avec qui nous nous proposions de nous éloigner promptement de Merida. Une crainte pourtant troublait notre joie : nous appréhendions qu’avant trois jours le véritable fils de Juan Velez de la Membrilla ne vînt traverser notre bonheur, ou plutôt le détruire en paraissant tout à coup. Cette crainte n’était pas mal fondée. Dès le lendemain, une espèce de paysan, chargé d’une valise, arriva chez le père de Florentine. Je ne m’y trouvai point alors ; mais mon camarade y était. Seigneur, dit le paysan au vieillard, j’appartiens au cavalier de Calatrava qui doit être votre gendre, au seigneur Pedro de la Membrilla. Nous venons tous deux d’arriver dans cette ville : il sera ici dans un instant ; j’ai pris les devants pour vous en avertir. À peine eut-il achevé ces mots, que son maître parut, ce qui surprit fort le vieillard, et déconcerta un peu Morales.

Le jeune Pedro était un garçon des mieux faits. Il adressa la parole au père de Florentine : mais le bonhomme ne lui donna pas le temps de finir son discours, et, se tournant vers mon compagnon, il lui demanda ce que cela signifiait. Alors Morales, qui ne cédait en effronterie à personne du monde, prit un air d’assurance, et dit au vieillard : Monsieur, ces deux hommes que vous voyez sont de la troupe des voleurs qui nous ont détroussés sur le grand chemin ; je les reconnais, et particulièrement celui qui a l’audace de se dire fils du seigneur Juan Velez de la Membrilla. Le vieux bourgeois, sans hésiter, crut Morales ; et, persuadé que les nouveaux venus étaient des fripons, il leur dit : Messieurs, vous arrivez trop tard ; on vous a prévenus.