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où mon camarade tira de son bissac un habit dont il ne fut pas sitôt revêtu, que nous allâmes faire un tour de la ville pour reconnaître le terrain, et voir s’il ne s’offrirait point quelque occasion de travailler. Nous considérions fort attentivement tous les objets qui se présentaient à nos regards. Nous ressemblions, comme aurait dit Homère, à deux milans qui cherchent des yeux dans la campagne des oiseaux dont ils puissent faire leur proie. Nous attendions enfin que le hasard nous fournît quelque sujet d’employer notre industrie, lorsque nous aperçûmes dans la rue un cavalier à cheveux gris, qui avait l’épée à la main, et qui se battait contre trois hommes qui le poussaient vigoureusement. L’inégalité de ce combat me choqua ; et, comme je suis naturellement ferrailleur, je volai au secours du vieillard. Morales, pour me montrer que je ne m’étais point associé avec un lâche, suivit mon exemple. Nous chargeâmes les trois ennemis du cavalier, et nous les obligeâmes à prendre la fuite.

Après leur retraite, le vieillard se répandit en discours reconnaissants. Nous sommes ravis, lui dis-je, de nous être trouvés ici si à propos pour vous secourir ; mais que nous sachions du moins à qui nous avons eu le bonheur de rendre service ; et dites-nous, de grâce, pourquoi ces trois hommes voulaient vous assassiner. Messieurs, nous répondit-il, je vous ai trop d’obligation pour refuser de satisfaire votre curiosité. Je m’appelle Jérôme de Moyadas, et je vis de mon bien dans cette ville. L’un de ces assassins dont vous m’avez délivré est un amant de ma fille. Il me la fit demander en mariage ces jours passés ; et, comme il ne put obtenir mon aveu, il vient de me faire mettre l’épée à la main pour s’en venger. Et peut-on, repris-je, vous demander encore pour quelles raisons vous n’avez point accordé votre fille à ce cavalier ? Je vais vous l’apprendre, me dit-il. J’avais un frère marchand dans cette ville : il se nommait Augustin. Il y a deux mois qu’il était à Cala-