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anachorète le seigneur don Raphaël, et dans le frère Antoine mon très cher et très fidèle valet Ambroise de Lamela. Vive Dieu ! m’écriai-je aussitôt, je suis ici, à ce que je vois, en pays de connaissance. Cela est vrai, seigneur Gil Blas, me dit don Raphaël en riant, vous retrouvez deux de vos amis lorsque vous vous y attendiez le moins. Je conviens que vous avez quelque sujet de vous plaindre de nous ; mais oublions le passé, et rendons grâces au ciel qui nous rassemble. Ambroise et moi nous vous offrons nos services ; ils ne sont point à mépriser. Ne nous croyez pas de méchantes gens. Nous n’attaquons, nous n’assassinons personne ; nous ne cherchons seulement qu’à vivre aux dépens d’autrui ; et, si voler est une action injuste, la nécessité en corrige l’injustice. Associez-vous avec nous, et vous mènerez une vie errante. C’est un genre de vie fort agréable quand on sait se conduire prudemment. Ce n’est pas que, malgré toute notre prudence, l’enchaînement des causes secondes ne soit tel quelquefois, qu’il nous arrive de mauvaises aventures. N’importe, nous en trouvons les bonnes meilleures. Nous sommes accoutumés à la variété des temps, aux alternatives de la fortune.

Seigneur cavalier, poursuivit le faux ermite en parlant à don Alphonse, nous vous faisons la même proposition, et je ne crois pas que vous deviez la rejeter dans la situation où vous paraissez être, car, sans parler de l’affaire qui vous oblige à vous cacher, vous n’avez pas sans doute beaucoup d’argent ? Non, vraiment, dit don Alphonse, et cela, je l’avoue, augmente mes chagrins. Eh bien ! reprit don Raphaël, ne nous quittez donc point. Vous ne sauriez mieux faire que de vous joindre à nous. Rien ne vous manquera, et nous rendrons inutiles toutes les recherches de vos ennemis. Nous connaissons presque toute l’Espagne, pour l’avoir parcourue. Nous savons où sont les bois, les montagnes, tous les endroits propres à servir d’asile contre les brutalités de la justice. Don Alphonse les remercia de leur