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la fuite ; mais en quelque lieu qu’il aille se cacher, je n’épargnerai rien pour le découvrir. Je vais écrire à quelques gouverneurs qui ne manqueront pas de le faire arrêter, s’il passe par les villes de leur juridiction, et je vais, par d’autres lettres, achever de lui fermer tous les chemins.

« Le comte de Polan. »

Figurez-vous dans quel désordre ce billet jeta tous mes sens. Je demeurai quelques moments immobile et sans avoir la force de parler. Dans mon accablement j’envisage ce que la mort de don Gaspard a de cruel pour mon amour. J’entre tout à coup dans un vif désespoir. Je me jetai aux pieds de Séraphine, et, lui présentant mon épée nue : Madame, lui dis-je, épargnez au comte de Polan le soin de chercher un homme qui pourrait se dérober à ses coups. Vengez vous-même votre frère, immolez-lui son meurtrier de votre propre main : frappez. Que ce même fer qui lui a ôté la vie devienne funeste à son malheureux ennemi. Seigneur, me répondit Séraphine un peu émue de mon action, j’aimais don Gaspard ; quoique vous l’ayez tué en brave homme, et qu’il se soit attiré lui-même son malheur, vous devez être persuadé que j’entre dans le ressentiment de mon père. Oui, don Alphonse, je suis votre ennemie, et je ferai contre vous tout ce que le sang et l’amitié peuvent exiger de moi : mais je n’abuserai point de votre mauvaise fortune ; elle a beau vous livrer à ma vengeance ; si l’honneur m’arme contre vous, il me défend aussi de me venger lâchement. Les droits de l’hospitalité doivent être inviolables, et je ne veux point payer d’un assassinat le service que vous m’avez rendu. Fuyez ; échappez, si vous pouvez, à nos poursuites et à la rigueur des lois, et sauvez votre tête du péril qui la menace.

Eh quoi ! madame, repris-je, vous pouvez vous-même vous venger, et vous vous en remettez à des lois qui