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sa lettre à mon père, poursuivit Séraphine. J’espère que la chose pourra se terminer à l’amiable, et qu’un mariage solennel éteindra bientôt la haine qui sépare depuis si longtemps nos maisons.

Lorsque la dame m’eut instruit du sort de sa sœur elle parla de la fatigue qu’elle m’avait causée, et du péril où elle pouvait m’avoir imprudemment jeté en m’engageant à poursuivre un ravisseur, sans se souvenir que je lui avais dit qu’une affaire d’honneur me faisait prendre la fuite. Elle m’en fit des excuses dans les termes les plus obligeants. Comme j’avais besoin de repos, elle me mena dans le salon, où nous nous assîmes tous deux. Elle avait une robe de chambre de taffetas blanc à raies noires, avec un petit chapeau de la même étoffe et des plumes noires ; ce qui me fit juger qu’elle pouvait être veuve. Mais elle me paraissait si jeune, que je ne savais ce que j’en devais penser.

Si j’avais envie de m’en éclaircir, elle n’en avait pas moins de savoir qui j’étais. Elle me pria de lui apprendre mon nom, ne doutant pas, disait-elle, à mon air noble, et encore plus à la pitié généreuse qui m’avait fait entrer si vivement dans ses intérêts, que je ne fusse d’une famille considérable. La question m’embarrassa : je rougis, je me troublai ; et j’avouerai que, trouvant moins de honte à mentir qu’à dire la vérité, je répondis que j’étais fils du baron de Steinbach, officier de la garde allemande. Dites-moi encore, reprit la dame, pourquoi vous êtes sorti de Madrid. Je vous offre par avance tout le crédit de mon père, aussi bien que celui de mon frère don Gaspard. C’est la moindre marque de reconnaissance que je puisse donner à un cavalier qui, pour me servir, a négligé jusqu’au soin de sa propre vie. Je ne fis point difficulté de lui raconter toutes les circonstances de mon combat : elle donna le tort au cavalier que j’avais tué, et promit d’intéresser pour moi toute sa maison.

Quand j’eus satisfait sa curiosité, je la priai de con-